Débat 2021 : République et Religions – Quatre évènements fondateurs.
Portent-ils un message commun pour l’Homme d’Aujourd’hui ?

Après le constat de haut niveau de convergence des valeurs que les religions suggèrent à leurs fidèles sur le plan du vécu, de la relation à l’autre, avec les valeurs que la République demande au citoyen de respecter, le CLUB-ECEF est dans la phase d’identification d’actions pour faire connaître cette convergence ou pour promouvoir les valeurs communes. Les rites étant depuis toujours le ciment d’une société, le CLUB ECEF s’est interrogé au regard des rites civils ou républicains et des rites religieux. Coté rites civils nombre de propositions d’actions sont apparues dans les champs de la citoyenneté et naturalisation, de la famille et de la coéducation. Ce ne fut pas le cas pour les ites de chacune des religions, sauf en réponse à l’interrogation : « Pour que ce haut niveau de convergence existe il fallait du commun à l’origine de chacune de religions et de la République ? »

Chaque évènement fondateur de l’une ou des autres fait l’objet d’une célébration.

D’où la question posée au débat.

Les intervenants

Ghaled Bencheikh Président Conférence Mondiale des Religions pour la Paix, Membre du Comité d’Orientation

Pasteur François Clavairoly Président Fédération Protestante de France, Membre du Comité d’Orientation

Monseigneur Jean-Charles Descubes, Archevêque Emérite, Membre du Comité d’Orientation

Grand Rabbin Haïm Korsia, Grand Rabbin de France, dont l’ambassadeur au CLUB-ECEF est Michael Azoulay, Membre du Comité d’Orientation

Philippe Portier, Directeur d’Etudes à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, Professeur à Science Po, Membre du Comité d’Orientation

Synthèse 

Face à un auditoire fourni et à l’écoute, sont intervenus : Philippe Portier, Directeur d’études EPHE et professeur à Sciences Po, Haïm Korsia, Grand rabbin de France, Jean Charles Descubes, archevêque émérite, Ghaled Bencheikh, Président de la Fondation Islam de France et François Clavairoly, Président de la Fédération Protestante de France.

Il est structuré en deux parties :

– Quels messages sont portés par DDHC 1789, le don de la Torah, le don de l’Esprit Saint, la révélation du Coran qui tous ont leur célébration annuelle : Fête nationale, Chavouot, Pentecôte, Laylat al-Qadr ?

– Quelles évolutions Aujourd’hui des messages, quels partages et enrichissements mutuels ?

Et comment les exploiter au bénéfice de l’intérêt général et du bien commun

Premier questionnement

Chacun des intervenants confirme que le message de l’événement fondateur au nom duquel il s’exprime, marque la libération de l’homme par une loi et de responsabilisation en appelant à sa conscience et qu’il est de portée universelle.

Ainsi, la remise des tables de loi à Moïse est la remise de la loi à l’humanité toute entière.

La loi met des limites qui libèrent, car ces limites ne sont pas là pour nous empêcher, mais pour nous élever en appelant à la conscience individuelle.

Dans ce cadre, le message principal est « tu aimeras ton prochain comme toi-même ». C’est un message de réflexivité « tu veux qu’on te respecte, respecte les autres … »

Les tables de la loi sont indémodables en ce qu’elles inspirent toutes les pensées de tous les temps, mais exigent de ce fait d’être réinterprétées en permanence au regard de l’actualité.

Un exemple de la permanence de ce que les lois inspirent. Il est écrit (Deutéronome 28) « ta vie sera en suspens » pour celui qui achète le blé au marché. Rachi traduit ceci par « attention, ne dépendez pas pour les choses vitales d’approvisionnements non assuré ». ceci est pleinement applicable aujourd’hui.

La Pentecôte est l’aboutissement d’un ensemble d’évènements, elle s’inscrit dans la tradition d’Israël. Elle conduit celui qui le reçoit à cette question fondamentale « que dois-je faire » pour répondre à l’espérance offerte à toute l’humanité. En retour il reçoit « une loi intérieure ». Les pratiques en sont changées : abandonnant le simple devoir d’accomplir, avec les risques de s’enfermer dans le dogmatisme, chaque jour est à réinventer dans le respect inconditionnel du prochain qu’il soit juif ou grec, esclave ou homme libre… Et pour cela l’église est sans cesse à réformer.

Durant la Nuit du destin. Il y a eu révélation, mais aussi souvenance et rappel. Souvenance d’une sagesse, la Torah, rappel de l’Evangile au sens de la bonne nouvelle. Le message, c’est croire en Dieu et faire le bien, croire en Dieu et aimer… On y trouve bien sûr le décalogue. Mais plus qu’une loi c’est une voix d’ordre. Et le message premier, c’est l’unité du genre humain « oh vous les gens nous vous avons créés d’un homme et d’une femme et vous avons constitués en peuples et tribus afin que vous vous entre-connaissiez ». Ce monogénisme n’est pas clonage, il y a richesse dans la diversité.

Pour la Réforme, dans le récit biblique qui remonte jusqu’au judaïsme antique, c’est que les humains ne sont pas seuls. Il y a une parole qui nous est envoyée, donnée, adressée personnellement et cette parole c’est la liberté. La liberté par la loi qui libère donnée à Moïse, loi qui libère pour servir. Ce qui peut paraître paradoxal mais c’est l’enjeu de la vie. Ce message de liberté présent dans la tradition juive devenu chrétienne notamment par la Pentecôte mais surtout par le Sermon sur la montagne, représente une libération de l’esprit par rapport à tout ce qui nous opprime, c’est une libération de l’esprit et c’est un message universel.

L’évènement pour la République c’est la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen promulguée le 26 août 1789. Elle résulte de choix : refus d’un projet qui recouvrirait non seulement le champ social mais aussi celui de la spiritualité pouvant aboutir à une religion politique se substituant aux spiritualités existantes, mais aussi rupture d’avec l’ordre arbitraire voire tyrannique précédent.

La Révolution française dit : « ce qui l’emportera désormais c’est l’immanence » le pouvoir des hommes sur leur propre existence. Elle affirme le principe d’égalité et fait prévaloir la volonté humaine, passe par l’autonomie individuelle et l’autonomie collective avec les responsabilisations correspondantes. Quant au premier choix, avec la liberté de croyance et d’expression, la République permet à chacun d’être à la fois un citoyen religieux et un citoyen séculier.

Bien que s’adressant au citoyen en français, elle une perspective universaliste.

Deuxième questionnement

Commentant l’avènement de la République au côté des religions, François Clavairoly souligne que dès le XVIème siècle, la séparation des deux règnes, politique et religieux, était une affirmation théologique de la Réforme.Haïm Korsia rappelle un fait historique du IIIème siècle qui va dans ce sens : C’est Clovis qui ayant besoin d’être baptisé pour unifier son royaume fait en sorte de l’être hors la présence du Pape. Jean-Charles Descubes souligne que la notion de personne est un héritage des religions, notamment juive et chrétienne, pour la République car elle ne peut exister que si il y a liberté et égalité. Philippe Portier confirme ces points, en indiquant que s’il y a aujourd’hui démocratie et République, c’est parce qu’il y avait avant des religions qui ont distingué les deux règnes, dans la conscience de l’homme.

Point fondamental rapporté par François Clavairoly : c’est suite au discours du pasteur Rabaud Saint-Etienne qui refusait la simple tolérance, que c’est la liberté de croyance, dans le respect de l’ordre publique, qui a été inscrite dans la DDHC.

On n’a donc pas à choisir d’être républicain ou religieux, chacun étant avant tout républicain comme le rappelle nombre des intervenants. Ce qui permet d’être à la fois un citoyen séculier et un citoyen religieux comme dit Philippe Portier

On passe ainsi, comme ajoute Philippe Portier, d’une loi de Dieu l’emportant sur toute loi humaine à une acceptation de la diversité où la loi protège la foi, tant que la foi ne prétend pas dicter la loi comme rappelle Ghaleb Bencheikh.

Plusieurs intervenants soulignent qu’une société c’est un culte et des rites avec des tribus pour les porter.

Sur les évolutions que ceci entraine pour les religions, deux spécifiques sont explicitées. Philippe Portier rappelle que si le pape Pie IX promulgue en 1864 le Syllabus errorum, qui condamne les principes de modernité dont la liberté, Paul VI conduit Vatican II, initié par Jean XXIII, à la déclaration Dignitatis humanae qui réfute le Syllabus errorum en affirmant la liberté de conscience. Ghaleb Bencheikh rappelle que le « fait islamique », dont on voit les effets aujourd’hui, est une lente construction commencée au XIX siècle, soit bien après le fait coranique explicité ci-avant dont il s’éloigne. Il considère que le contact avec la République permettra de revenir à l’intégrité du message premier dont il cite notamment « croit qui il veut, ne croit pas qui veut ».

Concernant les enrichissements mutuels entre République et religions, se sont particulièrement exprimés Jean-Charles Descubes et Philippe Portier.

Ils considèrent l’un et l’autre que le politique ne peut pas tout couvrir, tout absorber et que les religions, bien, que sans pouvoir politique, peuvent enrichir la réflexion politique, donc la République, en particulier dans l’élaboration des lois.

François Clavairoly considère que ceci va déjà dans l’intérêt général. Il ajoute que les instances religieuses et les croyants par leurs actions font progresser la République et la société notamment en ce qui concerne la solidarité, la fraternité et cite en particulier l’égalité homme/femme.

Philippe Portier souligne que dans l’évolution des textes concernant les droits de l’homme, au-delà de la DDHC, les apports des religions ont été significatifspour les droits sociaux, les droits des minorités, jusqu’à, comme l’a écrit le Conseil Constitutionnel en 1994, le droit de préservation de la personne humaine face aux évolutions biotechnologiques et dans un environnement sain. Tout ceci converge vers le bien commun.

Le CLUB-ECEF

Il y voit la confirmation de son analyse interne ayant conduit à identifier comme messages au moment de chacun des évènements : la libération de l’homme par la loi et sa responsabilisation par appel à sa conscience, de plus, tous avec perspective d’universalité.

Il y reçoit des développements sur les évolutions convergentes et l’enrichissement mutuel de la République et des religions de par la cohabitation République et religion, chacune dans son espace et permettant à chacun d’être et républicain et religieux et à tous d’avoir sa spiritualité.

Ce sont des apports à ses réflexions sur le caractère laïque de la République et le comportement laïque du citoyen et ça renforce son choix de propositions d’actions sur les rites citoyens et de passage.

Par contre, il n’y a pas eu d’apport sur le comment exploiter ces convergences et enrichissements mutuels au bénéfice d’une meilleure intégration de chacun dans la Nation et de sa responsabilisation pour le bien commun.


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