Pourquoi identifier le « Vécu » et le « Cru »

NEWSLETTER N°11 – SEPTEMBRE 2022

Dans le champ religieux – Pour la République

Dans l’ouvrage du CLUB-ECEF « République et Religions – Des valeurs communes pour une fraternité partagée », nous avons distingué, pour analyser le niveau de convergence des valeurs entre République et Religions abrahamiques, deux axes que nous avons appelés le « Cru » et le « Vécu ».

Nous avons défini le Cru comme l’axe vertical d’une religion, à savoir la foi et la liturgie, et donc la relation avec Dieu.

Nous avons défini le Vécu comme l’axe horizontal d’une religion, à savoir la relation à l’autre, à la société, à l’humanité.

Nous avons considéré que la République, de par son caractère laïque, constitutionnel depuis la constitution de 1946, ne se réfère aujourd’hui qu’au Vécu.

Le CLUB-ECEF est parfois questionné, voire contesté au titre de ce choix. C’est pourquoi nous avons voulu vous fournir, chers lecteurs, les éclairages ci-dessous.

Pour les instances religieuses et confessionnelles qui en découlent, Il y aurait dans les dogmes, des orientations puissantes vers le Vécu.

En voici quelques exemples

Tout d’abord, nous ne contestons pas que Cru et Vécu se conjuguent pour ceux, croyants d’une religion ou d’une spiritualité, dans leur quête de soi ou quête spirituelle. Ce sont des attitudes de vie qui permettent de s’ouvrir à la connaissance et à l’acceptation de l’autre.

– Par des textes récents qui éclairent venant d’autorités religieuses : Citons en exemples :

     –  Troisième encyclique « Fratelli tutti » Pape François (Septembre 2020) : Le Pape y emploie le groupe de trois mots « liberté, égalité, fraternité » et insiste sur la fraternité et l’amitié sociale qui sont les voies indiquées pour construire un monde meilleur, plus juste et plus pacifique, avec l’engagement de tous, peuples et institutions. Il rappelle avec force l’opposition à la guerre et à la mondialisation de l’indifférence qui se désintéresse du bien commun

     – Sommet Interreligieux pour la paix, du 3 au 5 Février 2019 aux Emirats Arabes Unis : Le Pape François et le Grand Imam d’Al-Azhar, Ahmad Al-Tayyeb, ont cosigné un Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune

     – Ouvrage « Après Dieu » du pasteur François Clavairoly (Octobre 2019).  Il réfléchit sur les attentats de Paris comme sur le sort des réfugiés, sur l’écologie comme sur l’impératif œcuménique, dessinant à chaque page le visage d’un Dieu désarmé. Il montre aussi que l’esprit critique qui a nourri la République et les Lumières est jumeau de l’herméneutique permanente à laquelle les protestants sont attachés.

     – Ouvrage « Réinventer les aurores » du Grand Rabbin de France Haïm Korsia (Mars 2020) : Il s’agit d’affirmer que l’on peut reconstituer le tissu de la société menacée par tout ce qui la délite, de la peur à la haine. C’est un manifeste contre l’indifférence, un plaidoyer pour la fraternité, une politique de la jubilation et du bonheur retrouvé. 

(Vous pouvez retrouver ces exemples dans nos différentes newsletters)

 – Par la proposition éducative fournie par le scoutisme

Il s’agit de contribuer à l’éducation des filles et des garçons et à la construction d’un monde plus fraternel, plus tolérant et plus humain.

Il s’agit de vivre ensemble et de respecter l’autre. Ce « vivre ensemble » se trouve dans les liens qui unissent des adolescents issus d’horizons différents, de culture religieuse, d’éducation et de moyens différents.

Il s’agit de vivre en groupe en assumant sa part de responsabilités.

Il s’agit d’aller plus loin au contact de la nature dans le respect du bien commun.

Il s’agit d’appliquer ces préceptes tout au long de la vie et de les transmettre aux générations futures.

Le scoutisme israélite, le scoutisme catholique, le scoutisme musulman et le scoutisme protestant partagent ces objectifs.

– Par l’action envers les plus fragiles, les plus en détresse

Dans des associations « confessionnelles », des bénévoles luttent contre la pauvreté, inégalité, exclusion et interpellent les pouvoirs publics et proposent des solutions dans la durée.

Ce soutien s’adresse aux personnes en difficultés, quels que soient leur origine, leur âge, leur nationalité ou leurs opinions philosophiques et religieuses.

Par exemple, le Secours juif, le Secours catholiques, le Secours islamique, la Fédération d’entraide protestante partagent ces objectifs.

Même si ces actions émanent de préceptes des textes religieux, elles sont dimensionnées au temps présent et se rapportent en premier à du Vécu

Quant à la République Française, après avoir visité les Religions en termes de Vécu, qu’en était-il dans le passé et qu’en est-il aujourd’hui d’un impact du Cru ?

La DDHC de 1789 : Dès la naissance de l’idée de République, dans la nuit du 4 août 1789, le clergé, jusque-là 1er ordre du royaume, disparaît en tant que corps politique. Mais la liberté de culte est préservée, ce que confirmera d’ailleurs, l’article 10 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (DDHC) qui va disposer « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses… »

Ainsi, Robespierre, déiste, avait vivement attaqué les tendances athées et la politique de déchristianisation des ultras (les Hébertistes) qui avaient institué le culte de la raison en 1793. Fidèle à sa croyance, il ne faisait, en août 1789, que contribuer à la rédaction de la DDHC, en voulant lui instiller un sens déiste.

Rappelons que le 20 août 1789, le texte de la DDHC est introduit par « L’Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence du suprême législateur de l’univers… » et que le 26 août 1789, date de son adoption, le texte de la DDHC est introduit par « L’Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’être suprême… »

On passe en quelques jours, sur injonction de Robespierre, d’un affichage matérialiste à un affichage spiritualiste.

La Constitution du 24 juin 1793 : Elle rappelle que la Convention nationale a décrété le 21 septembre 1792 qu’il ne peut y avoir de Constitution que celle qui est acceptée par le Peuple et a décrété, à l’unanimité, le 22 septembre 1792, que la royauté est abolie en France et que par la déclaration du 25 septembre 1792, la République française est une et indivisible. En préambule, est rappelée la DDHC de 1789 qui est proclamée en présence de l’Etre suprême. 

C’est cette Constitution qui met en place la République française une et indivisible, acceptée par le peuple tout en rappelant un fondement de cette Constitution qui est la DDHC de 1789  

La Constitution du 5 Fructidor an III (22 Août 1795) dite Constitution du Directoire qui va être appliquée durant 5 années. Elle reprend la DDHC de 1789 en y ajoutant des devoirs : Le peuple français proclame, en présence de l’Etre suprême, la Déclaration suivante des droits et des devoirs de l’homme et du citoyen. Et d’ajouter : L’universalité des citoyens français est le souverain. On a ici la souveraineté du peuple qui proclame en présence de l’être suprême

Le Concordat de 1801 (ratifié par les Chambres le 8 avril 1802). Il reconnaît que la religion catholique est celle de la grande majorité des Français (non pas celle de l’État). Il donne au chef de l’État le droit de nommer les évêques, dont le nombre est réduit et auxquels le pape accorde l’institution canonique. L’Église s’interdit de revendiquer les biens « nationalisés » par les lois révolutionnaires ; l’État assure, en contrepartie, un entretien décent aux catégories d’ecclésiastiques déterminées par l’accord. Les articles reconnaissaient aux ministres des cultes, protestant et israélite, les mêmes avantages qu’aux prêtres catholiques. Il s’agit là avant tout d’un texte organique avec un certain assujettissement des Eglises à l’Etat.

La Constitution du 4 novembre 1848 (Deuxième République). Au nom du peuple français, l’assemblée nationale a adopté, et promulgue la Constitution dont le Préambule dispose : En présence de Dieu et au nom du Peuple français, l’Assemblée nationale proclame… Elle précise ensuite : La République française est démocratique, une et indivisible. Sans doute la succession de monarchies constitutionnelles avant fin 1848 ont influencé le texte en associant Dieu au peuple français ?

La troisième République n’a pas de Constitution mais a promulgué des lois constitutionnelles importantes dont la Loi 1905 dite de Séparation des Eglises et de l’Etat. Elle dispose en son Titre 1er :La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public… La liberté de conscience est le droit d’un individu d’avoir le libre choix de son système de valeurs et d’y conformer ses actes. La liberté de conscience inclut la liberté de croyance, de religion ou de ne pas avoir de religion.


La  Constitution du 27 octobre 1946 de la IVème République et la Constitution du 04 octobre 1958 de la Vème République confirment ce qui précède (rappelons que la Constitution de 1958 a été confortée par plus des quatre cinquièmes des voix par référendum national). Elles établissent puis confirment constitutionnellement le caractère laïque de la République : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».

C’est le peuple français qui proclame que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. Il réaffirme solennellement les droits et libertés de l’homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789.

C’est le peuple français qui proclame en faisant référence uniquement aux droits et liberté de l’Homme de la DDHC de 1789, sans se référer à son préambule : proclamation en présence et sous les auspices de l’être suprême

Ainsi, à partir de la Constitution de 1946, c’est le peuple français, dans sa plénitude, qui proclame, il n’est plus fait référence à une déité, donc plus de référence au Cru. C’est une conséquence de la loi de 1905 et c’est l’acte de naissance du caractère laïque de la République qui va, à compter des années 1960, conduire au développement en France de la notion du principe de laïcité.

Ces quelques réflexions montrent qu’il est recevable voir perspicace de n’avoir, pour nos travaux de comparaison entre les valeurs de la République et les valeurs des Religions, retenu que le VECU des religions, à ce jour, en le « frottant » au VECU, à ce jour, de la République française.

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